L’escadre de l’Atlantique : Cabasse Sampan 303 M2

Dans nos explorations des enceintes acoustiques, nous avons ces derniers temps examiné des produits plutôt originaux (Rehdeko, Bertagni…). Il est temps de revenir au classicisme.
Les objets que nous allons remonter de la cave sont des morceaux de l’histoire de la haute fidélité à la française. Certes ce n’est pas le plus beau morceau, nous réservons cela pour plus tard, mais c’est un bon exemple de ce que pouvait proposer la firme Cabasse dans les années 80, à l’apogée de la marque. Ce sont elles dont on se souvient avec leur face avant à redans et leur impeccable placage de noyer. Les principes de construction sont communs à toute la flottille : enceintes closes, rigidité des membranes et nombre de voies qui grimpe avec le niveau dans la gamme.
Celles que nous allons faire revivre sont des Sampan 303 M2, dans le ventre mou de la gamme des trois voies Cabasse. Ce positionnement dans la hiérarchie en fera une mal aimée, à la fois trop chère et pas assez élégante. Comme nous aIlons le voir, la gamme Cabasse est en effet un peu redondante et trop peu différentiée.
Note liminaire : nous recommandons au lecteur de prendre une aspirine avant de lire ce qui suit.
En haut de gamme des trois voies, les choses sont simples : la Clipper est le modèle de référence. Elle est équipée des aigu DOM 4, médium DOM 12 et basse 30BZ18. Son apparence est déjà statutaire sans être trop encombrante, la Clipper sera produite pendant plus de 10 ans sans changement notable, sauf sur la fin de sa vie où elle deviendra Yawl quand le boomer 30BZ18 sera remplacé par le modèle en mousse alvéolaire 30M20.
En bas de la gamme des trois voies, il y a la Goélette. Elle se distingue par un grave de seulement 21cm et ses tweeter DOM 2 et médium M12. Elle aussi aura un parcours assez simple, et elle aussi sera renommée Drakkar en changeant son boomer pour un modèle en mousse alvéolaire, puis finalement Doris avec l’aide d’une scie cloche pour en faire une bass-reflex(1).
Mais entre la Goélette à 3300 frs (en 1984) et la Clipper à 5400 frs, Cabasse pense pouvoir intercaler plusieurs modèles. Outre la vieillissante Sampan 310, on trouve les Sampan 303, Sloop et Sampan 311. C’est beaucoup. C’est trop. Toutes ces enceintes font 64cm de haut et ont des volumes similaires. Pour choisir entre le modèle 303, dont les haut-parleurs sont exactement ceux de la sampan 310 (aigu TWM4, médium 12k16 et basse 30BZ18), la Sloop qui outre le 30BZ18 utilise le tweeter DOM 4 de la Clipper ainsi qu’un médium à cône M12 et la Sampan 311 qui a l’équipement de la Clipper dans un format légèrement plus ramassé, c’est un poil compliqué. Pour simplifier, la Sampan 303 sera rapidement modifiée en version M2 pour adopter le tweeter DOM 2 de la Goélette et le médium 12M de la Sloop, la 310 demeurant inchangée. Ça va tout le monde suit ? La 303 évoluera en Sampan 305 avec une façade à trois niveaux comme la Clipper mais en gardant les mêmes HP tandis qu’apparait une 313 qui met toujours ces mêmes HP sur une façade lisse (2). On prendra garde à ne pas confondre cette dernière avec l’Aviso, toujours avec les mêmes HP mais dans une configuration de façade légèrement différente…

Entre la Goélette à gauche et la Clipper à droite, saurez-vous reconnaître tous les modèles ?

Pour être complet, on notera que toujours en trois voies, Cabasse proposait également les modèles Corvette et Caravelle dans la très désirable gamme « tout dôme ».

Bref, à l’issue de cette bataille navale, nous avons mérité une autre aspirine ou de préférence un verre de Loch Lomond. Bien tassé.

Mais revenons à nos moutons et examinons notre paire d’essai fraîchement remontée de la cave. Elle est en fort bel état, un simple coup de chiffon suffit. Elles sont tellement neuves qu’il y a encore le bandeau d’exposition annonçant fièrement le modèle.
La face avant est en escalier pour aider le filtre à la mise en phase des HP mais sur seulement deux niveaux. La construction est extrêmement sérieuse et le poids déjà conséquent, un bon 17kg. Le bornier est celui classique de Cabasse. Il n’accepte pas les fiches banane mais on peut déjà mettre un câble nu de section conséquente. Généreuse attention avant la folie des câbles ultra haut de gamme, ces derniers sont livrés en 2x3m avec les enceintes. La Sampan 303 doit être posée sur un pied d’une trentaine de centimètres.

L’écoute ne présente pas de défaut majeur, la précision d’analyse du signal est élevée et la bande passante étendue. Les graves sont présents et bien tendus. Seule la dernière octave est très nettement en retrait, ce qui n’est pas étonnant avec des enceintes closes d’un volume (relativement) réduit. Ce ne sera pas forcément un inconvénient si l’écoute se fait dans une pièce de dimension moyenne de moins de 30m2. Les aiguës filent haut mais sans grande subtilité.
Cependant, par comparaison avec les enceintes de référence du petit salon, on ne tarde pas à retrouver une caractéristique commune à beaucoup d’enceintes Cabasse de cette époque : une tendance à mettre le médium en avant (3). Ce point pouvait être un avantage dans les écoutes pratiquées dans les auditoriums en donnant l’impression d’un niveau sonore plus élevé et d’un pouvoir d’analyse supérieur. Avec nos procédures un peu plus précises, qui impliquent un ajustement à 0,2dB du niveau sonore émis, les Sampan ne sont plus si avantagées. La tendance à la projection des médiums peut rendre l’écoute fatigante. Mais surtout sur des messages musicaux un tantinet complexes, les solistes, sont exagérément favorisés. Les voies, guitares, saxophones… prennent trop d’importance au détriment des autres instruments. Au risque même d’une certaine sibilance, notamment sur les voix masculines. On notera aussi que les timbres de certains instruments semblent appauvris. Sur les orgues, on a moins l’impression d’une colonne d’air en mouvement ou la sensation de la peau de l’instrument sur les percussions.
Il est possible qu’avec une petite compensation avec les correcteurs de tonalité de l’amplificateur, on puisse améliorer l’écoute notamment avec des engins comme les Revox qui disposent d’un correcteur de « présence » qui agit sur le médium.

La courbe de réponse en noir comparée à celle de la Clipper, plus régulière.

Cependant, l’examen de la courbe de réponse ne montre rien de dramatique à part une remontée dans l’extrême aigu au delà de 10kHz et un grave un peu court. L’analyse en ondelette montre deux pics vers 1200Hz et 1700Hz où l’énergie arrive sensiblement plus vite, ce qui explique peut-être la sibilance.

Mesure en ondelette de la Sampan 303


Ces critiques sont bien sûr à relativiser dans notre comparaison avec des enceintes sensiblement plus récentes et coûteuses. On peut parfaitement vivre avec les Cabasse. Et ce sont de beaux objets qui ont fait la fierté de l’industrie audio française.

(1) On pourra lire avec intérêt l’explication de Philippe Muller, ancien de Cabasse sur ce point. La transformation en bass-reflex ne résulte pas d’une tentative d’amélioration acoustique mais d’une astuce pour avoir de meilleurs résultats aux tests du laboratoire de la Fnac dont l’effet prescripteur était considérable à l’époque. O tempora O moris.

(2) Et encore, nous avons un peu simplifié la gamme et les évolutions pour rester à la limite du lisible sans toutefois succomber à cette facilité.

(3) Il semblerait que les errements des protocoles de mesure de Cabasse à la fin des années 80 aient influencé cette tendance .

 

2 réflexions sur “L’escadre de l’Atlantique : Cabasse Sampan 303 M2

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